"Pas toujours facile de grandir, mais heureusement qu'il y a sur le chemin des personnages qui font du bien et ça donne de l'espoir !"
Anna Gavalda, 35 Kilos d’espoir, 2002.
Nous inaugurons ce cours d'expression écrite par l'étude des textes narratifs. Dans ce cadre nous lirons et étudierons une série de "nouvelles à chute" exemplaires.
Une "nouvelle à chute " est un récit court qui se termine brutalement. Il concentre l'effet de surprise au dénouement.
Une « nouvelle à chute »
La « chute », effet narratif de la nouvelle
Happy Meal, une nouvelle d’Anna Gavalda
Cette fille, je l’aime. J’ai envie de lui faire plaisir. J’ai envie de l’inviter à déjeuner. Une grande brasserie avec des miroirs et des nappes en tissu. M’asseoir près d’elle, regarder son profil, regarder les gens tout autour et tout laisser refroidir. Je l’aime. « D’accord, me dit-elle, mais on va au McDonald. » Elle n’attend pas que je bougonne. « Cela fait si longtemps... ajoute-t-elle en posant son livre près d’elle, si longtemps... » Elle exagère, ça fait moins de deux mois. Je sais compter. Mais bon. Cette jeune personne aime les nuggets et la sauce barbecue, qu’y puis-je ? Si on reste ensemble assez longtemps, je lui apprendrai autre chose. Je lui apprendrai la sauce gribiche et les crêpes Suzette par exemple. Si on reste ensemble assez longtemps, je lui apprendrai que les garçons des grandes brasseries n’ont pas le droit de toucher nos serviettes, qu’ils les font glisser en soulevant la première assiette. Elle sera bien étonnée. Il y a tellement de choses que je voudrais lui montrer... Tellement de choses. Mais je ne dis rien. Je prends mon pardessus en silence. Je sais comment sont les filles avec l’avenir : juste prometteuses. Je préfère l’emmener dans ce putain de McDo et la rendre heureuse un jour après l’autre. Dans la rue, je la complimente sur ses chaussures. Elle s’en offusque : « Ne me dis pas que tu ne les avais jamais vues, je les ai depuis Noël ! » Je pique du nez, elle me sourit, alors je la complimente sur ses chaussettes. Elle me dit que je suis bête. Tu penses si je le savais. C’est la plus jolie fille de la rue.
J’éprouve un haut-le-cœur en poussant la porte. D’une fois sur l’autre, j’oublie à quel point je hais le McDonald. Cette odeur : graillon, laideur et vulgarité mélangés. Pourquoi les serveuses se laissent-elles ainsi enlaidir ? Pourquoi porter cette visière insensée ? Pourquoi les gens font-ils la queue ? Pourquoi cette musique d’ambiance ? Et pour quelle ambiance ? Je trépigne, les gens devant nous sont en survêtement. Les femmes sont laides et les hommes sont gros. J’ai déjà du mal avec l’humanité, je ne devrais pas venir dans ce genre d’endroit. Je me tiens droit et regarde loin devant, le plus loin possible : le prix du menu best-of McDeluxe. Elle le sent, elle sent ces choses. Elle prend ma main et la presse doucement. Elle ne me regarde pas. Je me sens mieux. Son petit doigt caresse l’intérieur de ma paume et mon cœur fait zigzague. Elle change d’avis plusieurs fois. Comme dessert, elle hésite entre un milkshake ou un sundae caramel. Elle retrousse son mignon petit nez et tortille une mèche de cheveux. La serveuse est fatiguée et moi, je suis ému. Je porte nos deux plateaux. Elle se retourne vers moi :
— Tu préfères le coin fumeur, j’imagine ?
— Je hausse les épaules.
— Si. Tu préfères. Je le sais bien.
Elle m’ouvre la voie. Ceux qui sont mal assis raclent leur chaise à son passage. Des visages se tournent. Elle ne les voit pas. Impalpable dédain de celles qui se savent belles. Elle cherche un petit coin où nous serons bien tous les deux. Elle a trouvé, me sourit encore, je ferme les yeux en signe d’acquiescement. Je pose notre pitance sur une table dégueulasse. Elle défait lentement son écharpe, dodeline trois fois de la tête avant de laisser voir son cou gracile. Je reste debout comme un grand nigaud.
— Pourquoi tu ne t’assieds pas ?
— Je te regarde.
— Tu me regarderas plus tard. Ça va être froid.
— Tu as raison.
— J’ai toujours raison.
— Presque toujours.
Petite grimace. J’allonge mes jambes dans l’allée. Je ne sais pas par quoi commencer. J’ai déjà envie de fumer. Je n’aime rien de tous ces machins emballés. J’ai un moment de doute. Que fais-je ici ? Avec mon immense amour et ma pochette turquoise. J’ai ce réflexe imbécile de chercher un couteau et une fourchette. Elle me dit :
— Tu n’es pas heureux ?
— Si, si.
— Alors mange !
Je m’exécute. Elle ouvre délicatement sa boîte de nuggets comme s’il s’était agi d’un coffret à bijoux. (...) Elle trempe ses morceaux de poulet décongelés dans leur sauce chimique. Elle se régale.
— Tu aimes vraiment ça ?
— Vraiment.
— Mais pourquoi ?
Sourire triomphal.
— Parce que c’est bon.
Elle me fait sentir que je suis un ringard, ça se voit dans ses yeux. Mais du moins le fait-elle tendrement. Pourvu que ça dure, sa tendresse. Pourvu que ça dure. Qu’est-ce que j’aime le plus chez elle ? En numéro un je mettrai ses sourcils. Elle a de très jolis sourcils. En numéro deux, ses lobes d’oreilles. Parfaits. Ses oreilles ne sont pas percées. J’espère qu’elle n’aura jamais cette idée saugrenue. Je l’en empêcherai. En numéro trois, quelque chose de très délicat à décrire... En numéro trois j’aime son nez ou, plus exactement, les ailes de son nez. En numéro quatre... Mais déjà le charme est rompu : elle a senti que je la regardais et minaude en pinçant sa paille. Je me détourne. Je cherche mon paquet de tabac en tâtant toutes mes poches.
— Tu l’as mis dans ta veste.
— Merci.
— Qu’est-ce que tu ferais sans moi, hein ?
— Rien.
Je lui souris en me roulant une cigarette. Mais je ne serais pas obligé d’aller au McDo le samedi après-midi. Je réfléchis à ce que nous allons faire ensuite... Où vais-je l’emmener ? Que vais-je faire d’elle ? Me donnera-t-elle sa main, tout à l’heure, quand nous serons de nouveau dans la rue ? Reprendra-t-elle son charmant pépiement là où elle l’avait laissé en entrant ? Où en était-elle d’ailleurs ? Je crois qu’elle me parlait des vacances... Où irons-nous en vacances cet été ? Mon dieu ma chérie, mais je ne le sais pas moi-même... te rendre heureuse un jour après l’autre, je peux essayer, mais me demander ce que nous ferons dans six mois... Comme tu y vas... Il faut donc que je trouve un sujet de conversation en plus d’une destination de promenade. Les bouquinistes peut-être... elle va râler... « Encore ! » Non, elle ne va pas râler. Elle aussi aime me faire plaisir. Et puis, pour sa main, elle me la donnera, je le sais bien. Elle plie sa serviette en deux avant de s’essuyer la bouche. En se levant, elle lisse sa jupe et réajuste le col de son chemisier. Elle prend son sac et me désigne du regard l’endroit où je dois reposer nos plateaux. Je lui tiens la porte. Le froid nous surprend. Elle refait le nœud de son écharpe et sort ses cheveux de dessous son manteau. Elle se tourne vers moi. Je me suis trompé, elle ne me donnera pas sa main puisque c’est mon bras qu’elle prend. Cette fille, je l’aime. C’est la mienne. Elle s’appelle Valentine et n’a pas sept ans.
Biographie
Connaissez-vous Anna Gavalda ? Faites une rapide recherche pour la connaître.
Questions de compréhension :
1 Que pense le narrateur du « Mc Do » et des gens qui le fréquentent ? 2 Quelle opinion la fille a-t-elle sur le « Mc Do » ? Pourquoi le narrateur et la fille ont-ils des opinions différentes ? 3 Décrivez les deux protagonistes et parlez de leur relation. 4 Comment expliquez-vous que le narrateur accepte d’aller manger au « Mc Do » ? 5 Quelles réactions avez-vous eues en lisant les deux dernières lignes du texte ? 6 Pourquoi cette nouvelle est-elle réussie selon vous ?
Exercice de vocabulaire et de grammaire : une brasserie, prometteur, bougonner, s'offusquer, piquer du nez, un haut-le-cœur, du graillon, trépigner, un zigzague, impalpable, dédain, un acquiescement, dodeliner, un nigaud, un ringard, saugrenu, minauder, un pépiement.
1 - Cherchez le sens des mots ci-dessus : donner la définition, la catégorie grammaticale (nom, verbe, adjectif, etc.)
2 - Retrouver les verbes sur lesquels sont composés les noms et adjectifs suivants : brasserie, prometteur, acquiescement, pépiement, impalpable.
3 - Retrouver le nom sur lesquels est composé le verbe suivant : bougonner.
4 - composez une phrase simple (un seul verbe conjugué) avec les 5 mots suivants : une brasserie, dédain, haut-le-coeur, saugrenu, minauder.
Exercice d’écriture et de composition :
1 – Écrire le synopsis de la nouvelle.
2 – Racontez librement une histoire mais en respectant le principe narratif de la « chute » et en vous inspirant de la phrase d'Ana Gavalda en exergue.
Adaptation cinématographique de la nouvelle :
Quels éléments du récit rendent l’adaptation difficile à l’écran ? Comparez la nouvelle et son adaptation : https://www.youtube.com/watch?v=sMzSQhCkKb8. Comment les réalisateurs ont-ils résolu ces difficultés ? Qu’en pensez-vous ? Cette adaptation est-elle réussie selon vous ?
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